Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/265

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

249
LE BUISSON ARDENT

choires serrées, le front barré d’une ride entêtée, le regard dur. Elle pensait à Christophe avec haine. Elle ne lui pardonnait pas de l’avoir un instant arrachée à la prison de l’âme, et de l’y laisser retomber, en proie à ses bourreaux. Elle ne dormait plus ; elle ressassait, jour et nuit, les mêmes pensées torturantes ; elle ne se plaignait pas ; elle allait, obstinée, continuant de diriger tout dans la maison, de faire toute sa tâche, et gardant jusqu’au bout le caractère intraitable et têtu de sa volonté dans la vie quotidienne, dont elle accomplissait les besognes avec une régularité de machine. Elle s’amaigrissait, elle semblait rongée par un mal intérieur. Braun l’interrogea, avec une affection inquiète ; il voulut l’ausculter. Elle le repoussa rageusement. Plus elle avait de remords envers lui, plus elle lui parlait avec dureté.

Christophe avait résolu de ne plus revenir. Il se brisait de fatigue. Il faisait de grandes courses, des exercices pénibles, il ramait, il marchait, il grimpait des montagnes. Rien ne parvenait à éteindre le feu.

Il était plus livré à la passion que quiconque. C’est une nécessité de la nature des génies. Même les plus chastes, Beethoven, Bruckner, il faut qu’ils aiment constamment ; toutes les forces humaines chez eux sont exaltées ; et