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LA FIN DU VOYAGE

comme chez eux les forces sont captées par l’imagination, leur cerveau est la proie de passions perpétuelles. Ce ne sont le plus souvent que des flammes passagères ; l’une détruit l’autre ; et toutes sont absorbées par le grand incendie de l’esprit créateur. Mais que l’ardeur de la forge cesse de remplir l’âme, et l’âme sans défense est livrée aux passions dont elle ne peut se priver ; elle les veut, elle les crée ; il faut qu’elles le dévorent… — Et puis, à côté de l’âpre désir qui laboure la chair, il y a le besoin de tendresse qui pousse l’homme lassé et déçu par la vie vers les bras maternels de la consolatrice. Un grand homme est plus enfant qu’un autre ; plus qu’un autre, il a besoin de se confier à une femme, de reposer son front sur la paume des mains douces de l’amie, dans le creux de la robe tendue entre ses genoux.

Mais Christophe ne comprenait pas… Il ne croyait pas à la fatalité de la passion, — cette bêtise des romantiques. Il croyait au devoir et au pouvoir de lutter, à la force de sa volonté… Sa volonté ! Où était-elle ? Il n’en restait plus trace. Il était possédé. L’aiguillon du souvenir le harcelait, jour et nuit. L’odeur du corps d’Anna flottait autour de lui. Il était comme une lourde barque désem-