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LE BUISSON ARDENT

parée, sans gouvernail, livrée au vent. En vain, il voulait fuir, il s’épuisait à fuir : il se retrouvait toujours ramené à la même place ; et il criait au vent :

— Brise-moi donc ! Que veux-tu de moi ?

Il s’interrogeait fiévreusement. Pourquoi, pourquoi cette femme ?… Pourquoi l’aimait-il ? Ce n’était pas pour ses qualités de cœur et d’esprit. Il n’en manquait pas d’autres plus intelligentes et meilleures. Ce n’était pas pour sa chair. Il avait eu d’autres maîtresses, que ses sens préféraient. Qu’était-ce donc ? — « On aime, parce qu’on aime. » — Oui, mais il y a une raison, même si elle dépasse la raison ordinaire. Folie ? c’est ne rien dire. Pourquoi cette folie ?


Parce qu’il y a une âme cachée, des puissances aveugles, des démons, que chacun porte emprisonnés en soi. Tout notre effort, depuis que l’humanité existe, a été d’opposer à cette mer intérieure les digues de notre raison et de nos religions. Mais que vienne une tempête, (et les âmes plus riches sont plus sujettes aux tempêtes), que les digues aient cédé, que les démons aient le champ libre, qu’ils se trouvent en présence d’autres âmes que soulèvent des puissances semblables… Ils se jettent l’un sur l’autre. Haine, ou