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LE BUISSON ARDENT

un moment, il se retrouvait seul, et il ne retrouvait plus rien de lui : pensée, amour, volonté, tout avait été tué.

Créer ! c’était le seul recours. Abandonner aux flots l’épave de sa vie ! Se sauver à la nage dans le rêve de l’art !… Créer ! Il le voulait… Il ne le pouvait plus.

Christophe n’avait jamais eu de méthode de travail. Quand il était fort et sain, il était plutôt gêné de sa surabondance qu’inquiet de la voir s’appauvrir ; il suivait ses caprices ; il travaillait, à sa fantaisie, au hasard des circonstances, sans aucune règle fixe. En réalité, il travaillait en tout lieu, à tout moment ; son cerveau ne cessait d’être occupé. Bien des fois, Olivier, moins riche et plus réfléchi, l’avait averti :

— Prends garde. Tu te fies trop à ta force. Elle est un torrent des montagnes. Plein aujourd’hui, demain peut-être à sec. Un artiste doit capter son génie ; il ne lui permet pas de s’éparpiller, au hasard. Canalise ta force. Contrains-toi à des habitudes, à une hygiène de travail quotidien, à heures fixes. Elles sont aussi nécessaires à l’artiste que l’habitude des gestes et des pas militaires à l’homme qui doit se battre. Viennent les moments de crise — (et il en vient toujours) — cette armature de fer empêche