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LA FIN DU VOYAGE

l’âme de tomber. Je le sais bien, moi. Si je ne suis pas mort, c’est qu’elle m’a sauvé.

Mais Christophe riait, et disait :

— Bon pour toi, mon petit ! Pas de danger que je perde jamais le goût de vivre. J’ai trop bon appétit.

Olivier haussait les épaules :

— Le trop amène le trop peu. Il n’y a pas de pires malades que les gens trop bien portants.

La parole d’Olivier se vérifiait maintenant. Après la mort de l’ami, la source de vie intérieure ne s’était pas tout de suite tarie ; mais elle était devenue étrangement intermittente ; elle coulait par brusques gorgées, puis se taisait, se perdait sous terre. Christophe n’y prenait pas garde ; que lui importait ? Sa douleur et la passion naissante absorbaient sa pensée. — Mais après qu’eut passé l’ouragan, lorsqu’il chercha de nouveau la fontaine pour y boire, il ne trouva plus rien. Le désert. Pas un filet d’eau. L’âme était desséchée. En vain, il voulut creuser le sable, faire jaillir l’eau des nappes souterraines, créer à tout prix : la machine de l’esprit refusait d’obéir. Il ne pouvait pas évoquer l’aide de l’habitude, l’alliée fidèle, qui, lorsque toutes les raisons de vivre nous ont fuis, seule, tenace et constante, demeure à nos