Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

310
LA FIN DU VOYAGE

contre le genre humain. Si Dieu existe et le tolère, il crie vengeance contre Dieu. S’il existe un Dieu bon, la plus humble des âmes vivantes doit être sauvée. Si Dieu n’est bon que pour les plus forts, s’il n’y a pas de justice pour les misérables, pour les êtres inférieurs offerts en sacrifice à l’humanité, il n’y a pas de bonté, il n’y a pas de justice…

Hélas ! Les carnages accomplis par l’homme sont si peu de chose, eux-mêmes, dans la tuerie de l’univers ! Les animaux s’entre-dévorent. Les plantes paisibles, les arbres muets sont entre eux des bêtes féroces. Sérénité des forêts, lieu commun de rhétorique facile pour les littérateurs qui ne connaissent la nature qu’au travers de leurs livres !… Dans la forêt toute proche, à quelques pas de la maison, se livraient des luttes effrayantes. Les hêtres assassins se jetaient sur les sapins au beau corps rosé, enlaçaient leur taille svelte de colonnes antiques, les étouffaient. Ils se ruaient sur les chênes, ils les brisaient, ils s’en forgeaient des béquilles. Les hêtres Briarées aux cent bras, dix arbres dans un arbre ! Ils faisaient la mort autour d’eux. Et quand, faute d’ennemis, ils se rencontraient ensemble, ils se mêlaient avec rage, se perçant, se soudant, se tordant, comme des monstres antédiluviens.