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LE BUISSON ARDENT

l’un l’autre dans un étrange embarras. À présent que toute idée créatrice s’imposait à lui, avec sa loi organique, comme une réalité supérieure à toute réalité, il était arraché à la servitude de la raison pratique. Certes, il n’abdiquait rien de son mépris pour l’immoralisme veule et dépravé du temps ; certes, il pensait toujours que l’art impur et malsain est le dernier degré de l’art, parce qu’il en est une maladie, un champignon qui pousse sur un tronc pourri ; mais si l’art pour le plaisir est la prostitution de l’art, Christophe ne lui opposait pas l’utilitarisme à courte vue de l’art pour la morale, ce Pégase sans ailes qui traîne la charrue. L’art le plus haut, le seul digne de ce nom, est au-dessus des lois d’un jour : il est une comète lancée à travers l’infini. Il se peut que cette force soit utile, il se peut qu’elle semble inutile ou dangereuse, dans l’ordre des choses pratiques ; mais elle est la force, elle est le mouvement et le feu ; elle est l’éclair jailli du ciel ; et par là, elle est sacrée, par là elle est bienfaisante. Ses bienfaits peuvent être même de l’ordre pratique ; mais ses vrais, ses divins bienfaits sont, comme la foi, de l’ordre surnaturel. Elle est pareille au soleil, dont elle est issue. Le soleil n’est ni moral, ni immoral. Il est Celui qui Est. Il éclaire la nuit des espaces. Ainsi, l’art.