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LE BUISSON ARDENT

fleurissent. Christophe n’avait pas le temps de penser, il n’avait pas le temps de vivre. Sur les ruines de la vie, l’âme créatrice régnait.


Et puis, cela s’arrêta. Christophe sortit de là, brisé, brûlé, vieilli de dix ans, — mais sauvé. Il avait laissé Christophe, il avait émigré en Dieu.

Des touffes de cheveux blancs étaient brusquement apparues dans la chevelure noire, comme ces fleurs d’automne qui surgissent des prairies en une nuit de septembre. Des rides nouvelles sabraient les joues. Mais les yeux avaient reconquis leur calme, et la bouche s’était résignée. Il était apaisé. Il comprenait, maintenant. Il comprenait la vanité de son orgueil, la vanité de l’orgueil humain, sous le poing redoutable de la Force qui meut les mondes. Nul n’est maître de soi, avec certitude. Il faut veiller. Car si l’on s’endort, la Force se rue en nous et nous emporte… dans quels abîmes ? Ou le torrent qui nous charrie se retire et nous laisse dans son lit à sec. Il ne suffit même pas de vouloir, pour lutter. Il faut s’humilier devant le Dieu inconnu, qui flat ubi vult, qui souffle quand il veut, où il veut, l’amour, la mort, ou la vie. La volonté humaine ne