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LA FIN DU VOYAGE

De la violence des autres. Car, suivant l’habitude, ces apôtres de l’énergie brutale étaient presque toujours des gens distingués et débiles. Plus d’un étaient fonctionnaires de cet État, qu’ils parlaient de détruire, fonctionnaires appliqués, consciencieux et soumis. Leur violence théorique était la revanche de leur débilité, de leurs rancœurs et de la compression de leur vie. Mais elle était surtout l’indice des orages qui grondaient autour d’eux. Les théoriciens sont comme les météorologistes : ils disent, en termes scientifiques, non pas le temps qu’il fera, mais le temps qu’il fait. Ils sont la girouette, qui marque d’où souffle le vent. Quand ils tournent, ils ne sont pas loin de croire qu’ils font tourner le vent.

Le vent avait tourné.

Les idées s’usent vite dans une démocratie, d’autant plus vite qu’elles se sont plus promptement propagées. Combien de républicains en France s’étaient, en moins de cinquante ans, dégoûtés de la république, du suffrage universel, et de tant de libertés conquises avec ivresse ! Après le culte fétichiste du nombre, après l’optimisme béat qui avait cru aux saintes majorités et qui en attendait le progrès humain, l’esprit de violence soufflait ; l’incapacité des majorités à se gouver-