Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

30
LA FIN DU VOYAGE

quer ; gros bourgeois du Marais, qui flirtaient avec l’Église et pensaient peu, mais bien. Il s’était marié, par désœuvrement, avec une femme au nom aristocratique, qui ne pensait pas moins bien, ni davantage. Ce monde bigot, étroit et arriéré, qui remâchait perpétuellement sa morgue et son amertume, avait fini par l’exaspérer, — d’autant plus que sa femme était laide et l’assommait. D’intelligence moyenne, d’esprit assez ouvert, il avait des aspirations libérales, sans trop savoir en quoi elles consistaient : ce n’était pas dans son milieu qu’il aurait pu apprendre ce qu’était la liberté. Tout ce qu’il savait, c’est qu’elle n’était point là ; et il se figurait qu’il suffisait d’en sortir pour la trouver. Il était incapable de marcher seul. Dès ses premiers pas au dehors, il fut heureux de se joindre à des amis de collège, dont certains étaient férus des idées syndicalistes. Il se trouvait encore plus dépaysé dans ce monde que dans celui d’où il venait ; mais il ne voulait pas en convenir : il lui fallait bien vivre quelque part ; et des gens de sa nuance, (c’est-à-dire sans nuance), il n’en pouvait trouver. Dieu sait pourtant que la graine n’en est pas rare en France ! Mais ils ont honte d’eux-mêmes : ils se cachent, ou se teignent en l’une des couleurs politiques à la mode, voire en plusieurs.