Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

31
LE BUISSON ARDENT

D’ailleurs, il subissait l’ascendant de ses amis.

Suivant l’habitude, il s’était attaché surtout à celui qui était le plus différent de lui. Ce Français, bourgeois français et provincial dans l’âme, s’était fait le fidèle Achate d’un jeune docteur juif, Manousse Heimann, un Russe réfugié, qui, à la façon de beaucoup de ses compatriotes, avait le double don de s’installer tout de suite chez les autres comme chez lui, et de se trouver si à l’aise dans toute révolution qu’on pouvait se demander ce qui l’intéressait davantage en elle : si c’était le jeu, ou la cause. Ses épreuves et celles des autres lui étaient un divertissement. Sincèrement révolutionnaire, ses habitudes d’esprit scientifique lui faisaient regarder les révolutionnaires et lui-même, comme des sortes d’aliénés. Il observait cette aliénation chez les autres et chez lui, tout en la cultivant. Son dilettantisme exalté et son extrême inconstance d’esprit lui faisaient rechercher les milieux les plus opposés. Il avait des accointances parmi les hommes au pouvoir, et jusque dans le monde de la police ; il furetait partout, avec cette curiosité maladive et dangereuse qui donne à tant de révolutionnaires russes l’apparence de jouer un double jeu, et qui parfois de