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LA FIN DU VOYAGE

justice sociale. Son gros bon sens populaire lui faisait croire que ce qui avait été, serait.

— Si on te disait cela, en art, comme tu te récrierais ! observait Olivier.

— Peut-être bien. En tout cas, je ne m’y connais qu’en art. Et toi aussi. Je n’ai pas confiance dans les gens qui parlent de ce qu’ils ne connaissent pas.

Olivier n’avait pas plus confiance. Les deux amis poussaient même un peu loin leur méfiance : ils s’étaient toujours tenus en dehors de la politique. Olivier avouait, non sans un peu de honte, qu’il ne se souvenait pas d’avoir usé de ses droits d’électeur ; depuis dix ans, il n’avait même pas retiré sa carte d’inscription à la mairie.

— Pourquoi m’associer, disait-il, à une comédie que je sais inutile ? Voter ? Pour qui voter ? Je n’ai nulle préférence entre des candidats qui me sont également inconnus, et qui, j’ai trop de raisons de l’attendre, dès le lendemain de l’élection, trahiront également leur profession de foi. Les surveiller ? Les rappeler au devoir ? Ma vie s’y passerait, sans fruit. Je n’ai ni le temps, ni la force, ni les moyens oratoires, ni le manque de scrupules et le cœur cuirassé contre les dégoûts de l’action. Il vaut mieux m’abstenir. Je consens à subir le mal. Du moins, n’y pas souscrire.