Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 9.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

37
LE BUISSON ARDENT

même ! Que parlait-on de question sociale ! Quelle question ? La misère ?

— Je connais cela, disait-il. Mon père, ma mère, et moi, nous avons passé par là. Il n’y a qu’à en sortir.

— Tous ne le peuvent point, disait Olivier. Les malades. Les malchanceux.

— Qu’on les aide, c’est tout simple. Mais de là à les exalter, comme on fait aujourd’hui, il y a loin. Naguère, on alléguait le droit odieux du plus fort. Ma parole, je ne sais pas si le droit du plus faible n’est pas plus odieux encore : il énerve la pensée d’aujourd’hui, il tyrannise et exploite les forts. On dirait que ce soit devenu un mérite d’être maladif, pauvre, inintelligent, vaincu, — un vice d’être fort, bien portant, heureux dans la bataille, aristocrate d’esprit et de sang. Et le plus ridicule, c’est que les forts sont les premiers à le croire… Un beau sujet de comédie, mon ami Olivier !

— J’aime mieux faire rire de moi que faire pleurer les autres.

— Bon garçon ! disait Christophe. Parbleu ! Qui dit le contraire ? Quand je vois un bossu, j’en ai mal dans mon dos… La comédie, c’est nous qui la jouons, ce n’est pas nous qui l’écrirons.

Il ne se laissait pas prendre aux rêves de