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LA FIN DU VOYAGE

qui avait lié connaissance avec lui, fut frappé du tragique de cette destinée : une nature incomplète, sans culture suffisante et sans goût artistique, mais faite pour de grandes choses, et que la malchance écrasait. Gautier s’était aussitôt accroché à Christophe, ainsi que font les faibles qui se noient, lorsque leur main rencontre le bras d’un bon nageur. Il avait pour Christophe un mélange de sympathie et d’envie. Il l’entraîna dans des réunions populaires et lui fit voir quelques chefs du parti syndicaliste, auquel il ne s’unissait que par rancune contre la société. Car il était un aristocrate manqué. Il souffrait amèrement d’être mêlé au peuple.

Christophe, beaucoup plus peuple que lui, — d’autant plus qu’il n’était pas forcé de l’être, — prit plaisir à ces meetings. Les discours l’amusaient. Il ne partageait pas les répugnances d’Olivier ; il était peu sensible aux ridicules du langage. Pour lui, un bavard en valait un autre. Il affectait un mépris général de l’éloquence. Mais sans se donner la peine de bien comprendre cette rhétorique, il en ressentait la musique au travers de celui qui parlait et de ceux qui écoutaient. Le pouvoir de celui-là se centuplait de ses résonances dans ceux-ci. D’abord Christophe ne prit garde qu’au premier ; et il eut la