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LE BUISSON ARDENT

curiosité de connaître quelques-uns des parleurs.

Celui qui avait le plus d’action sur la foule était Casimir Joussier, — un petit homme brun et blême, de trente à trente-cinq ans, figure de Mongol, maigre, souffreteux, les yeux ardents et froids, les cheveux rares, la barbe en pointe. Son pouvoir tenait moins à sa mimique, qui était pauvre, saccadée, rarement d’accord avec la parole, — il tenait moins à sa parole, qui était rauque et sifflante, avec des aspirations emphatiques, — qu’à sa personne même, à la violence de certitude et de volonté qui en émanait. Il ne semblait pas permettre qu’on pût penser autrement que lui ; et comme ce qu’il pensait était ce que son public désirait penser, ils n’avaient pas de difficulté à s’entendre. Il leur répétait trois fois, quatre fois, dix fois, les choses qu’ils attendaient ; il ne se lassait pas de frapper sur le même clou, avec une ténacité enragée ; et tout son public frappait, frappait, entraîné par l’exemple, frappait jusqu’à ce que le clou s’incrustât dans la chair. — À cette emprise personnelle s’ajoutait la confiance qu’inspirait son passé, le prestige de multiples condamnations, largement méritées par des articles violents. Il respirait une énergie indomptable ; mais qui savait regar-