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LA FIN DU VOYAGE

Christophe ne haïssait pas moins la tyrannie des oppresseurs. Mais il était entraîné dans le sillage de la force, à la suite de l’armée des travailleurs révoltés.

Il ne s’en doutait guère. Il déclarait à ses compagnons de table qu’il n’était pas avec eux.

— Tant qu’il ne s’agira pour vous, disait-il, que d’intérêts matériels, vous ne m’intéressez pas. Le jour où vous marcherez pour une foi, alors je serai des vôtres. Autrement, qu’ai-je à faire entre deux ventres ? Je suis artiste, j’ai le devoir de défendre l’art, je ne dois pas l’enrôler au service d’un parti. Je sais que, dans ces derniers temps, des écrivains ambitieux, poussés par un désir de popularité malsaine, ont donné le mauvais exemple. Il ne me semble pas qu’ils aient beaucoup servi la cause qu’ils défendaient ainsi ; mais ils ont trahi l’art. Sauver la lumière de l’intelligence : c’est notre rôle, à nous. Nous ne devons pas la troubler dans vos luttes aveugles. Qui tiendra la lumière, si nous la laissons tomber ? Vous serez bien aises de la retrouver intacte, après la bataille. Il faut qu’il y ait toujours des travailleurs occupés à entretenir le feu de la machine, tandis qu’on se bat sur le pont du navire. Tout comprendre, ne rien haïr. L’artiste est la boussole qui,