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LE BUISSON ARDENT

pendant la tempête, marque toujours le Nord.

Ils le traitaient de phraseur, ils disaient qu’en fait de boussole, il avait perdu la sienne ; et ils se donnaient le luxe de le mépriser amicalement. Pour eux, un artiste était un malin qui s’arrangeait de façon à travailler le moins et le plus agréablement possible.

Il répondait qu’il travaillait autant qu’eux, qu’il travaillait plus qu’eux, et qu’il avait moins peur du travail. Rien ne le dégoûtait autant que le sabotage, le gâchage du travail, la fainéantise érigée en principe.

— Tous ces pauvres gens, disait-il, qui craignent pour leur précieuse peau !… Bon Dieu ! Moi, depuis l’âge de dix ans, je travaille sans répit. Vous, vous n’aimez pas le travail, vous êtes, au fond, des bourgeois. … Si seulement vous étiez capables de détruire le vieux monde ! Mais vous ne le pouvez pas. Vous ne le voulez même pas. Non, vous ne le voulez pas. Vous avez beau hurler, menacer, faire celui qui va tout exterminer. Vous n’avez qu’une pensée : mettre la main dessus, vous coucher dans le lit tout chaud de la bourgeoisie. En dehors de quelques centaines de pauvres bougres de terrassiers qui sont toujours prêts à se faire crever la peau, ou à crever la peau des autres, sans savoir pourquoi, — pour le