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LA FIN DU VOYAGE

plaisir, — pour la peine, la peine séculaire dont ils éclatent, tous les autres ne pensent qu’à foutre le camp, à filer dans les rangs des bourgeois, à la première occasion. Ils se font socialistes, journalistes, conférenciers, hommes de lettres, députés, ministres… Bah ! bah ! ne criez pas contre celui-là ! Vous ne valez pas mieux. C’est un traître, dites-vous ?… Bon. À qui le tour ? Vous y passerez tous. Il n’y a pas un de vous qui résiste à l’appât. Comment le pourriez-vous ? Il n’y a pas un de vous qui croie à l’âme immortelle. Vous êtes des ventres, je vous dis. Des ventres vides qui ne pensent qu’à se remplir.

Là-dessus, ils se fâchaient, et ils parlaient tous à la fois. Et tout en se disputant, il arrivait que Christophe, entraîné par sa passion, fût plus révolutionnaire que les autres. Il avait beau s’en défendre : son orgueil intellectuel, sa conception complaisante d’un monde purement esthétique, fait pour la joie de l’esprit, rentraient sous terre, à la vue d’une injustice. Esthétique, un monde où huit hommes sur dix vivent dans le dénuement ou dans la gêne, dans la misère physique ou morale ? Allons donc ! Il faut être un impudent privilégié, pour oser le prétendre. Un artiste comme Christophe, en son for intérieur, ne pouvait pas ne pas être du parti