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LA FIN DU VOYAGE

d’étudier la figure maladive de l’enfant, au front proéminent, son air sauvage et humilié ; il avait assisté aux grossièretés joviales qu’on lui disait, et dont les traits du petit se crispaient en silence. Il avait vu, à certaines déclamations révolutionnaires, ses yeux de velours marron rayonner de l’extase chimérique du bonheur futur… — ce bonheur qui, même s’il devait se réaliser jamais, ne changerait pas grand chose à sa chétive destinée. À ces instants, son regard illuminait son visage ingrat, le faisait oublier. La belle Berthe elle-même en fut frappée ; un jour, elle le lui dit, et, sans crier gare, le baisa sur la bouche. L’enfant sursauta ; il pâlit, de saisissement, et se rejeta en arrière, avec dégoût. La fille n’eut pas le temps de le remarquer ; elle était déjà occupée à se quereller avec Joussier. Seul, Olivier s’aperçut du trouble d’Emmanuel ; il suivait des yeux le petit, qui s’était reculé dans l’ombre, les mains tremblantes, le front baissé, regardant en dessous, jetant de côté sur la fille des coups d’œil ardents et irrités. Il se rapprocha de lui, il lui parla doucement, poliment, l’apprivoisa… Qui dira le bien que peut faire une douceur de manières à un cœur sevré d’égards ? C’est comme une goutte d’eau qu’une terre aride boit avidement. Il