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ANNETTE ET SYLVIE 235

sentiment très vif de ce qui était à lui.

À mesure que le séjour d’Annette se prolongeait, cette prise de possession devenait plus étroite, — de quelques dehors affectueux qu’on l’entourât. Ce que les Brissot tenaient, ils le tenaient. Le despotisme domestique des deux femmes s’accusait journellement à mille menus détails. Leur « idée », comme on dit, était « faite » sur tout : qu’il s’agît du ménage ou du monde, de l’existence quotidienne ou des grands problèmes de la vie morale. C’était vissé, fixé, une fois pour toutes. Tout était édicté : ce qu’il convenait de louer, ce qu’il fallait rejeter, — ce qu’il fallait rejeter, surtout ! Que d’ostracismes ! Que d’hommes, que de choses, que de façons de penser ou d’agir, jugés, condamnés sans appel, et pour l’éternité ! Le ton et le sourire enlevaient l’envie de discuter. Ils avaient l’air de dire (ils disaient souvent, en propres termes) :

— Il n’y a pas deux façons de penser, ma chère enfant.

Ou bien, quand elle essayait, cependant, de montrer qu’il y avait aussi la sienne :

— Ma petite, comme vous êtes amusante !

Ce qui avait pour effet de lui clore le bec, à l’instant.

On la traitait déjà en fille de la maison,