Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/295

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peser une lassitude irritée. Le plus banal échange de paroles courtoises trahissait par l’accent la souffrance agressive. Presque tous ces pauvres gens avaient une longue créance de griefs, déceptions, deuils et amertumes… Mais à qui présenter le relevé de comptes ? Où se cachait le Débiteur ? … À son défaut, chaque prochain payait sa part des rancunes.

Le mécontentement aveugle mûrissait, par toute la France, en cet avril 1917. La Révolution Russe venait d’éclater. De l’aurore boréale, le ciel saignait, aux bords. Les premières nouvelles en étaient arrivées à Paris, trois semaines avant ; et, la semaine précédente, le Dimanche des Rameaux, le peuple de Paris l’avait, dans un meeting, tumultueusement acclamée. Mais il n’avait pas de chefs, il n’était pas dirigé ; d’action commune, point : une multitude de réactions contradictoires, d’égoïsmes qui souffraient et ne savaient pas s’unir : ils seraient faciles à briser. L’esprit de la Révolution s’émiettait en révoltes isolées. En ces semaines d’avril, elles travaillaient sourdement les armées. Ce que voulaient ces régiments, ces insurgés, ils ne le savaient pas plus que les pauvres gens de la maison ; et leurs bourreaux en profitèrent. Mais ce qu’ils savaient tous, c’est qu’ils souffraient ; et ils cherchaient sur qui se venger.