Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/296

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Ce ressentiment perçait jusque dans les gestes et dans la voix — plus que dans les mots — des « encavés ». Au lieu d’associer leurs fardeaux, on eût dit qu’ils les comparaient et qu’ils accusaient le voisin de leur laisser le plus lourd. Bernardin et Girerd tiraient, chacun, son deuil, chacun de son côté. Et, se saluant froidement, ils ne se parlaient pas. La peine avait ses frontières. Ils ne les franchissaient point.

Annette exprima sa chaude compassion à Ursule et Justine Bernardin. Ces filles réservées, qui n’avaient jamais échangé une parole avec elle, furent presque bouleversées par cet élan de sympathie ; elles rougirent d’émotion ; puis, la timidité et la méfiance reprirent le dessus ; et, s’écartant, elles rentrèrent sous leurs voiles de deuil — dans leur coque. Annette n’insista point. Si les autres avaient besoin d’elle, elle était prête ; mais elle n’avait pas besoin des autres. Elle ne cherchait à imposer ni soi, ni ses idées.

Autour d’elle, dans cette cave, s’échangeaient des propos de froid fanatisme. Clapier contait la première du film : « Debout les Morts ! » qui exposait les crimes allemands, épinglés de cette légende : — « Quel que soit ton ennemi, frère, parent, ami, tue ! Sache que chaque Allemand tué est un fléau de moins pour l’humanité ! »

Mme Bernardin, avec douceur, parlait à une