Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/302

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mère, qui est libre (il en jurerait !) de tout ce qui l’entoure, n’a nullement besoin d’attaquer pour se défendre. Elle ne critique rien. Elle ne fait le procès d’aucune autre pensée. Elle a sa pensée propre, sa raison, sa maison, et s’y tient. Elle s’est bâti ses assises… Sur quoi ?

Annette est femme. Son cœur est plein d’une pensée passionnée. Elle ne songe point à l’étendre à l’univers. Le champ de sa vision est entièrement occupé par une action précise, ardue, et limitée. Il ne lui importe pas de résoudre l’énigme tragique, qui se débat dans le monde. Cette énigme, pour elle, et cette tragédie, se résument en le devoir propre qui lui est — qu’elle s’est — assigné : sauver le sentiment sacré qui l’emplit : l’Amitié… Même pas !… Les deux amis, au sort de qui son sort est mêlé. Elle ne le généralise pas au sort des autres hommes. Elle a sa part du destin. Cette part lui suffit ; elle s’y voue tout entière. Pour répondre à cet appel, il n’est pas de respect humain, il n’est pas de loi humaine qu’elle ne soit prête à transgresser : une loi plus haute a parlé…

Si chacun faisait de même, dans son domaine restreint, ce serait la plus grande Révolution de l’humanité.