Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/315

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sans réplique, la part du lion. Ils convinrent que ce serait lui qui se tiendrait en communication directe avec le jeune prisonnier. Et, le moment venu, il se ferait son guide, il le remettrait aux mains d’Annette, dans le train pour Genève. Par des amis à lui, il s’occuperait aussi du passage de la frontière. Mais il fallait d’abord étudier le terrain. Ne rien précipiter. Dans les semaines prochaines, Pitan se créerait un prétexte d’aller sur place reconnaître le camp de prisonniers ; il rencontrerait Franz, et poserait prudemment les premières fondations… Pitan parlait de prudence, mais il se passionnait. Le risque énorme qu’un tel acte, surpris, tombât sous le coup d’un jugement sommaire d’espionnage et de haute trahison, ne l’effleurait même pas. Je veux dire qu’il le connaissait, mais qu’il n’en tenait aucun compte… (Qui sait ? En son for intérieur, c’était peut-être un attrait… Pitan avait le goût, nous l’avons vu, d’être « mangé »…) Le côté chimérique du dessein l’avait conquis. Il s’emballait, tête baissée, les yeux brillants, la truffe sur la piste, — quand il s’arrêta, rit dans sa barbe, et dit :

— Madame Rivière, faites excuse ! Nous sommes aussi fous l’un que l’autre. À l’heure où tout est mis en miettes, les villes et les hommes, je m’échauffe à raccommoder les porcelaines cassées. Et vous, vous tâchez de recoller les mor-