Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 4.djvu/199

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Il évitait d’y penser avant la mort de sa fille. Le souvenir d’Annette ne lui était pas agréable. Il l’écartait. Une sourde rancune le maintenait en lui, cicatrice d’une blessure d’amour-propre, et peut-être d’amour, mal guérie. Il avait perdu de vue cette femme ; mais il n’avait pu s’empêcher, deux ou trois fois, de se faire informer indirectement de ce qu’elle était devenue. Sans lui souhaiter de mal, il n’était pas fâché de savoir qu’elle avait manqué sa vie. Ce n’était pas à dire qu’il ne l’eût très volontiers aidée, si elle avait fait appel à lui ; mais cette revanche secrète, il savait trop qu’elle ne la lui accorderait jamais.

Deux ou trois fois, en quinze ans, il l’avait rencontrée, dans la rue, avec son fils. Elle ne fit rien pour l’éviter. C’était lui qui avait feint de passer sans la voir. Il en gardait une impression pénible, qu’il aimait mieux ne pas analyser… Que lui faisait cette histoire lointaine, cette femme qu’il avait eue et qui lui était devenue étrangère, cette passante obscure, — que lui faisait à lui, qui avait tout ?… Ô Dieu ! on a tout, on croit tout posséder, et l’on ne peut empêcher que, du fond du passé, un regret ressurgisse, le remords empoisonnant d’un rien qu’on a perdu ! Et ce