Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/145

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le loquet intérieur, qu’elle avait fait mettre, soupçonneuse. L’homme allait venir, elle le savait.

Et l’homme vint. Il poussa la porte, qui résista. Annette, debout derrière, silencieuse, rageant comme une rate prise au piège, évaluait la résistance de la barrière et jugeait qu’elle ne serait pas longue. Elle gagnait du temps. D’une voix froide elle répondait, par mots brefs, à la voix de l’homme qui parlementait, tout en faisant le tour de la chambre et, comme la rate, cherchant une fente. Il n’en était que par la fenêtre. Elle l’ouvrit. La chambre occupait, au premier, un angle de la maison, qui avançait à l’extrémité de la taupinière ; et la fenêtre à balcon rond surplombait au-dessus de la pente. Annette se pencha sur la rampe en fer forgé, et elle sonda la distance. Elle réfléchit. Elle tâta le cep noueux de la vieille glycine dépouillée qui s’accrochait, en les tordant, aux barreaux de la rampe, commue les anneaux d’un boa. Elle rentra, elle s’habilla, passa ses bottes en feutre, de paysanne, mit ses gros gants, puis les enleva, pour être plus sûre de sa prise ; d’un tour de main, elle rafla sur les meubles ses objets les plus essentiels, elle trouva même le temps d’obéir, en un pareil moment, à l’instinct féminin de se regarder dans le miroir, tandis qu’elle enfonçait ses oreilles sous le chaud bonnet d’astrakan ; et elle voyait ses lèvres irritées qui répliquaient par « oui », par « non » méprisants, à l’animal qui s’impatientait, en ébranlant sur ses gonds la porte. Enfin, elle se décida, après un dernier coup d’œil circulaire ; au seuil de la fenêtre, elle se ravisa pour retourner prendre à la muraille une photo de Marc qu’elle avait épinglée au-dessus de son lit, près de l’oreiller ; et elle l’enfouit dans son giron. Alors, elle enjamba la rampe du balcon, et s’agrippant au corps annelé de la glycine, elle descendit, glissant rudement, ou accrochée, risquant de s’éventrer, ou de laisser un de ses yeux aux lances pointues des rameaux qui lui fouettaient