Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/146

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durement la face. Elle ressentit, à un moment, une douleur si vive à l’avant-bras qu’elle lâcha prise. Par bonheur, elle avait fait plus des deux tiers de la descente ; et la neige amortit la chute. Elle roula le long de la pente, et se retrouva au pied de la butte, sous la grande ombre du château derrière lequel se couchait la lune, la robe en loques, les mains et les cuisses éraflées, mais en possession de tous ses morceaux. Après avoir repris son souffle, elle s’en alla à travers champs, se dépêchant de profiter, pour s’orienter, des dernières clartés de la lune. Mais celle-ci ne tarda pas à disparaître ; et ce fut l’ombre complète, qui, d’une part, assurait la fuite de Annette contre les poursuites, mais qui, d’autre part, l’entravait en lui faisant perdre le sens de la direction. Elle voulait marcher vers Bucarest, où le consul français la rapatrierait ; mais elle connaissait mal la carte de la région ; et la nuit opaque lui enlevait ses points de repère. Elle marchait, marchait, cherchant sa piste comme un chien, le nez à terre, d’où se dégageait une phosphorescence qui la guidait, qui la trompait ; elle chutait dans des trous de neige, elle pataugeait dans les marécages, elle s’embourbait, elle se repêchait, glacée, fiévreuse ; elle marcha toute la nuit, hallucinée par le chœur intarissable des grenouilles, sans s’apercevoir qu’elle tournait en rond autour du vaste étang. Elle se retrouva, aux premières lueurs de l’aube, sur une chaussée au milieu des marais ; et, par dessus les joncs, se profilait à brève distance le damné château qu’elle fuyait. Elle reprit sa course, harassée. Un petit paysan qu’elle croisa, coupant des joncs, le museau noir de vase durcie, la dévisagea, et, au lieu de répondre à ses questions, laissant son fagot coupé de roseaux, il s’esquiva à toutes jambes. Elle pensa que l’on était à sa poursuite et qu’il allait la signaler. Elle chercha un chemin de côté, où s’échapper ; mais il n’en était point : l’interminable chaussée se prolon-