Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/162

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— « Voilà ce que c’est, d’avoir commencé trop tôt ! La vertu est toujours récompensée. »

Sylvie grognait :

— « Jolie vertu ! Et pour ce que tu en fais, à présent ! »

— « Et qu’en sais-tu ?… »

Non, elle ne faisait rien de sa vertu. Du vice, non plus. Elle se trouvait, en vérité, dans ces années, étrangement insouciante et de l’un et de l’autre. Quand il lui arrivait d’y songer, elle était près d’en avoir honte : elle essayait ; mais même à cela — à avoir honte — là, sincèrement, elle n’arrivait pas :

— « Mais qu’est-ce que j’ai ?… Quoi ? Même pas la force d’être immorale ?… Le pire de tout : amorale… Quelle déchéance !… Rougis ! Rougis !… Ah ! non, assez ! Je suis bien assez rouge, comme cela… Tout de même pas autant que cette pauvre Sylvie, avec ses coups de scirocco qui lui font le front, les joues, le cou, comme un champ de coquelicots… Quelle insolente bonne santé !… »

Certes, elle n’inspirait point la pitié. Ses conditions n’étaient pourtant pas brillantes. Elle vivait, au mois le mois, ayant tout juste en réservée pour quelques semaines d’entretien, avec de sévères restrictions ; elle ne faisait qu’un repas par jour, dans des restaurants à bon marché, où la nourriture n’était ni abondante ni choisie. Mais Dieu sait comment ! tout lui profitait.

Elle voyait bien que sa bonne mine faisait l’objet d’un examen sévère, lorsque son fils la rencontrait. Il eût voulu lui demander compte de sa scandaleuse indifférence. Indifférence il la nommait, parce qu’elle ne se passionnait point, comme lui, contre quelqu’un ou quelque chose : ses yeux un peu myopes et bombés étaient occupés à tout regarder, à tout refléter, sans prendre parti. Mais rien de ce qu’elle voyait n’était perdu, elle en gardait l’image au fond. Un de ces