Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/166

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Elle choisissait bien ses enfants !

Elle ne les choisissait pas. Elle prenait ceux que le sort lui mettait sur les bras… C’est une façon de parler ! Elle avait beau avoir de bons bras, pleins et musclés : je ne la vois pas portant dessus, cet espèce d’ogre auvergnat ou de taureau d’Assur, Timon, l’écumeur de presse ! C’était bien lui qui la tenait. Elle était allée se jeter dans sa chiourme.

Un jour qu’elle était sans place, elle avait rencontré une ancienne amie de pension, qu’elle n’avait plus revue depuis vingt-cinq ans. Cette femme, d’un milieu bourgeois aisé, rangé, avant la guerre, avait été, comme tant d’autres de sa classe, réduite à la portion congrue, qui de mois en mois se rétrécissait, à mesure que fuyaient par les trous du coffre les derniers filets du mince capital subsistant. Avant la guerre, elle avait battu froid à Annette, depuis le double scandale qu’avaient causé, dans le cercle bourgeois des honnêtes gens, sa vie irrégulière et sa ruine. Mais après la guerre, qui l’avait faite veuve et ruinée, avec une mère et trois enfants, il lui avait fallu descendre de sa confortable honnêteté et chercher, n’importe où, n’importe comment, pitance. Ses beaux principes, ses diplômes, et l’honorabilité de sa famille, lui étaient d’un maigre secours. Elle ne posait plus ses conditions à la vie. Il lui fallait accepter celles