Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/181

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On n’enfonce pas. On peut poser les pieds dessus. La tête aussi. La grosse tête, qui aurait quelquefois tant besoin de s’appuyer !… Mais cela, on ne le montre pas. Il suffit qu’on regarde cette poitrine et qu’on se dise : — « Elle a allaité un homme. Ces seins ont du lait pour la faim. Et pour la peine, c’est un coussin ». — Sans avoir l’air de s’en soucier, il racontait à l’oreiller, avec sa gouaille souvent cynique, les aventures de sa vie. Il lui étalait, sans se gêner, Timon nu et sa « belle âme », qui n’était pas trop ragoûtante ; mais elle avait été, comme toutes, celle d’un naissant ; et, comme toutes, elle serait, un jour, celle d’un mourant. Une femme vraie peut toujours comprendre. Et compatir. Mais elle se garde bien de le dire à l’orgueilleux… C’est entendu, le mâle n’a rien à faire de la compassion ! Elle est une offense. Mais il est telles offenses (on dit même : outrages, quelquefois), dont secrètement, on n’est pas fâché. Il ne s’agit que d’être habile à offenser, et que l’offense vienne à propos, quand — la volonté a beau protester — la chair attend. Timon s’accommodait très bien de certains froncements imperceptibles au coin de la bouche de Annette écoutant, où il y avait de la pitié en dilution pour un dixième, avec un dixième de mépris, et huit dixièmes de curiosité intelligente, qui est libre de préjugés. Car, au total, le composé formait une sympathie. Indépendante. C’était son prix. — Le mot de Timon était : — « Frappe et encaisse ! mais ne cède point ! Ami ou ennemi, ne te rends jamais !… » Annette ne se rendrait jamais. Il avait essayé, il était sûr… (Cela ne l’empêcherait pas d’essayer à nouveau…)

Un pacte, à moitié secret à moitié dit, fut établi. Il avait pris Annette pour son service personnel. Il lui dictait, à gros traits, lettres et articles. Elle rédigeait. Elle pouvait nettoyer les ongles de son style, — pas les rogner. Elle pouvait émonder certaines erreurs, — mais non pas toutes : ne pas toucher à