Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/187

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trahisons, de seconde grandeur ou de troisième, dont çà et là s’offrait le luxe le Périgourdin, pour se prouver son indépendance, ou bien pour s’entretenir la main. L’autre ne disait rien, mais il montrait qu’il avait vu : double sagesse ! il ne faisait pas sentir la longe, mais il la tenait : à bon écouteur, salut ! Gueuldry savait qu’on le ménageait ; et l’on faisait bien : mieux que quiconque, il connaissait son prix. Bien encadré et instruit, il révéla une maîtrise, faite d’audace et de roublardise, dans les intrigues dont ses maîtres tenaces et ingénieux dévidaient l’écheveau embrouillé et embobinaient les longs fils autour des membres des nations. Ils ne tardèrent pas à reconnaître ses aptitudes particulières pour le bagout : (le fils des Gaules a dans la bouche son meilleur membre) ; et ils lui fournirent les moyens de l’exercer, en achetant pour lui un grand journal français, à Paris. On le nomma : « France, d’abord ! » On ne mentait pas, c’était sa peau qu’on voulait avoir ! Timon, cynique, (ce fut alors qu’il sortit de l’œuf), proposait :

— « On les aura ! »

Il les eut. Cela ne traîna point. Du premier coup, le membre de sa bouche s’érigea, comme celui de Gargantua, par-dessus les tours de Notre-Dame. Il inonda de son verbe les avale-bourdes, la badauderie béante de Paris. Sorti de leur jus, il savait le jus qui convenait à leur ragoût. Chacun de ses plats emportait la gueule. On y courut. Il se gardait bien de cajoler. Il accueillait les clients à coups d’injures. Les affaiblis sont flattés qu’on les malmène : cette rudesse leur paraît un hommage que l’on rend à leur virilité ; et elle en rallume les bouts de chandelle. Le tout est de connaître le point-limite où la trique, au lieu de gratter l’âne, l’irrite. Timon le connaissait exactement. Jamais dans ses plus âpres emportements, il ne perdait de vue le manomètre, ou, si l’on veut, l’aiguille du cadran qui bondit sous le