Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/188

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coup de poing asséné sur la tête du nègre. Il était froid dans ses fureurs, dans ses menaces, dans ses campagnes effrénées. Dès le point de départ, il savait le : — « Jusque- ! Halte ! Demi-tour droite !… » Le sanglier avait d’autres champs à dévaster… Entendons-nous ! Si le « jusque-là ! » n’avait point arraché la dépouille convoitée — (c’était bien rare ! presque toujours, le gibier épeuré laissait un morceau de son râble dans la gueule du poursuivant ; il eût filé de sa peau, s’il l’avait pu, pour échapper), — on le retrouverait, une autre fois. Timon n’oubliait jamais.

Surtout, il n’avait garde d’oublier la partie vraie qui se jouait derrière le paravent et le tonnerre des gargouillades — les grosses batailles internationales entre les firmes, et où il avait à servir la sienne. L’ultra-nationalisme de langage était le masque obligé de l’internationalisme d’intérêts. Il était fichtre bien indifférent à Timon et à ses pairs (qui n’étaient point des pairs d’Angleterre… Patience ! un jour ou l’autre, ils le seront…), il lui était refichtre indifférent que ce fût sous ce pavillon-ci ou ce pavillon-là qu’il raflât le marché des aciers, et que ce fût pour la paix ou pour la guerre. La couleur ne faisait rien à l’affaire ; et l’affaire s’accommodait de toutes les couleurs. — Oui, aux débuts, avant la grande guerre, qui a été un jeu de massacre des idées presque autant que des hommes, Timon cultivait encore, comme ses patrons, dans un coin de leur exploitation, la fleur nationale, rose à épines, rouge du sang qu’elle avait coûté ; et c’est même en quoi leurs jeux n’étaient pas toujours d’accord… Guerre des deux roses… Ils se trichaient. Mais la grande guerre leur apprit qu’ils seraient bien sots de limiter leur champ aux profits et pertes d’une seule nation, quand ils avaient la chance de totaliser, à leur profit personnel, la ruine de toutes les nations. S’il leur restait quelques scrupules, les aventuriers nouveau-nés se chargèrent