Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/214

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dire en termes mystérieux : c’était assez pour trembler ; et l’aspect de l’ogre l’avait achevée. Certes, elle n’était pas sans se douter de ce qu’elle allait chercher ! Et il ne fallait pas s’exagérer l’innocence de la victime. Si elle ne savait, en s’offrant au sacrifice, ce qu’il serait exactement, elle était prête au sacrifice. Tout pour sortir de la pauvreté ! L’Iphigénie n’ignorait point qu’elle n’en sortirait pas sans payer. Mais son imagination de petite paysanne n’avait point prévu l’encaisseur. Dans le premier émoi (on ne calcule pas !), elle s’était jetée vers la première protection qui se présentait. C’était absurde, puisqu’elle ne connaissait pas Annette. Mais les bêtes traquées flairent autour d’elles la moindre parcelle de pitié. — Tout cela fut deviné, beaucoup plus qu’exprimé, en un désordre de mots précipités, où l’italien se mêlait au français. Ce qui avait achevé de conquérir la confiance de l’enfant fut que Annette lui répondit aussitôt dans sa langue. Ce fut comme si lui venait le souffle de son Adriatique. Elle lui baisa le creux des mains :

— « Bella buona signorina, mi rimetto nelle sue mani, come nelle santissime della Madonna ! … »

Timon rentrait.

Ils arrivèrent, après trois heures, par nuit noire, à un château dans une forêt, qu’entouraient plusieurs kilomètres d’enceinte. Impossible de savoir le nom du lieu. Timon avait plus d’un de ces rendez-vous de chasse et de plaisirs, disséminés en France et au dehors. Ils furent aussitôt reçus et encadrés par une domesticité silencieuse. Après que les femmes eurent été conduites dans leurs appartements séparés, afin de refaire leur toilette, on vint respectueusement les chercher et les conduire aux salons du rez-de-chaussée où le souper était préparé. Il y avait là une table ronde de deux douzaines de convives, hommes et femmes de divers pays. On ne prenait pas souci de présenter. Ces hommes se connaissaient. Et pour les femmes, il n’importait