Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/241

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Elle eut de la peine à se décider. Elle ne voulait plus s’éloigner de son fils. Bien que l’éloignement moral, en apparence, persistât entre eux, ils avaient eu le temps de faire leurs réflexions et même leur mea culpa. Annette était prête à éviter à Marc le premier pas. Mais depuis l’affaire de la robe, le sot ombrageux boudait sous sa tente. Allaient-ils donc se quitter sur ce stupide malentendu ? Le temps passait. La vie passait. Et l’on s’en va pour jamais… Elle lui écrivit, un matin :

— « Mon cher garçon, je vais partir de Paris, pour quelques mois. Je ne serai pas loin, cette fois. Guère plus loin que nous ne le sommes, depuis un an. Mais je ne puis plus partir ni rester sans t’embrasser. Ne veux-tu pas m’apporter ton museau ? Si tu crois avoir quelque chose à me pardonner — (je crois que tu te trompes, mais je ne tiens pas à avoir raison) — ne peux-tu pas me le pardonner) Pardonne ou non, viens m’embrasser  ! »

Il n’avait pas encore reçu ce mot, quand le hasard les mit en présence. En passant devant l’église St-Eustache, Marc vit qu’on y donnait les Béatitudes de César Franck. Il brûlait d’entendre de la musique. C’était une soif d’âme desséchée. À l’entrée des places les moins chères dans l’abside, une cohue s’écrasait. Marc s’y glissa, et profitant de la confusion, il pénétra sans payer ; derrière lui, il entendait qu’on l’interpellait, il s’enfonça plus avant dans la foule ; d’autres comme lui forçaient la digue, on l’oublia. Il plongea, comme des centaines, dans le lac de musique, mélancolique, pure, enfantine et très sage, comme des yeux de vieillard. Et une lumière sans soleil, de jour qui s’achève, flottait, pareille aux pieds du Christ qui marche sur les eaux. Il connaissait mal cette musique ; elle était loin déjà de la jeunesse d’aujourd’hui ; mais le cœur de Marc était assez véridique et son sens de l’art assez sûr, pour qu’il perçût plus vivement la