Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/242

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beauté d’une âme différente de la sienne et le manque poignant en lui des espérances, même des souffrances, qui soutenaient cet âge passé, auréolé comme son Dieu de la couronne d’épines. Et il pensait, non sans envie : — « Heureuse douleur, qui porte en elle sa joie promise ! »… Le chœur chantait :

— « Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés… »

Et brusquement, il eut beau faire, il se mit à pleurer. Il se tourna le visage contre le pilier, auquel il était appuyé, les yeux cachés sous sa main. Si quelqu’un le vit, nul ne songea à en sourire ; mais l’orgueilleux en éprouvait un dépit ; il renifla en grimaçant, et il essuya avec ses doigts les larmes honteuses… — Et à ce moment, se redressant, les yeux éclaircis par la pluie, il aperçut, de l’autre côté du pilier, à quelques pas, la même rosée, les mêmes larmes qui coulaient sur le sage douloureux de sa mère… Elle était là. Elle ne l’avait point vu… Il se dissimula, et, de son pilier qui l’abritait, il l’épia, il la scruta ; chaque émotion qui surgissait, il la prenait dans son filet…

Cette musique réveillait dans le cœur de Annette de bien autres échos que chez Marc. C’était elle-même, c’était sa vie d’autrefois qui ressuscitait. Toute œuvre qui dure est faite de la substance même de son temps ; l’artiste n’a point été seul, pour la construire ; il y a inscrit ce qu’ont souffert, aimé, rêvé, ses compagnons, toute l’équipe. Annette aussi, dans cette musique, avait mis son sang. Elle s’y revoyait, comme un portrait que l’on compare au vieux visage, déçu par les années venues depuis. Elle écoutait dans cette musique les cris de douleur de l’homme qui désespère de la justice, et la voix du Juge qui console. Elle se souvenait de les avoir entendus jadis dans la Strasbourg allemande, neuf ans avant la guerre. Et ce poème de la justice opprimée, les Allemands d’alors, dans tout l’orgueil épanoui du triomphe, n’en entendaient pas