Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/265

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dans sa chambre. Il se raccrocha à la pensée de Ruche. Il avait cessé de la voir, depuis longtemps. Entre elle et lui, il y avait une glace. Chose curieuse, ce refroidissement avait commencé, du matin même de cette nuit, où Ruche s’était montrée secourable pour lui, — où, d’une couche à l’autre, leurs mains s’étaient tenues. Ils s’évitaient. S’ils se rencontraient. Ruche affectait de ne pas le voir, ou elle avait un sourire hostile. Marc, sans comprendre, ne tenait pas à en éclaircir la cause.

Mais, à cette heure, il avait besoin d’une femme, d’une camarade, dans le cœur de qui (même hostile) se décharger de ce qui l’oppressait. Une femme est toujours une femme, une mère, une sœur : si froide que puisse être sa tête, son ventre est chaud, et il frémit de toutes les passions de l’homme, il compatit ; on peut y poser son front, quand il est trop lourd à porter. Elle est le nid.

Il monta à l’entresol du croissant de rue, sous la masse du Val de Grâce. Il frappa.

— « Entrez ! »

Il était tard, La chambre était déjà dans l’ombre. Au fond, Ruche était étendue dans sa niche, ses jambes nues, ses longues jambes de lévrier, que découvrait sa jupe courte retroussée ; l’une pendait sur les marches de l’alcôve. Elle ne fit aucun mouvement pour la voiler. Elle regardait, indifférente, Marc qui avançait à pas lents. Et celui-ci, dont les prunelles élargies peu à peu s’habituaient à l’ombre, avant même qu’il eût vu, avait perçu le grésillement et l’odeur : elle allait fumer l’opium. Il ne perdit pas son temps à discuter là-dessus. Il avait d’abord à laisser tomber son fardeau. Il parla, parla, avant qu’elle l’eût interrogé. Il raconta tout, Simon, Véron, Chevalier, toutes ses agitations de la journée, ses fureurs et sa douleur et son horreur. Il n’attendait pas d’elle un conseil. — (Qui sait, pourtant ? fille de procureur, elle