Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/332

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toute, pour l’animal unique, sans second, qu’elle était, qui s’imposait par sa force d’être. Et chacun de ses détails, beaux ou laids — surtout laids peut-être — enchaînait d’autant plus qu’il était sa marque, qu’il la désignait… « Toi… Et nulle autre… »

Par une convention tacite, il lui parlait le moins possible, directement ; et jamais il ne se risquait à la tutoyer, comme elle continuait de faire, avec un sans-gêne insolent — (on eût dit : une pointe de défi). Annette leur servait pour se faire entendre. Ils avaient tous les deux bonne oreille pour écouter d’une chambre à l’autre ce que chacun disait, seul à seul, à la mère. Mais comme Assia le savait, elle se surveillait et elle éludait les patients efforts de Annette à la connaître. Elle était bien ingénieuse à échapper, mais sans rudesse : car les yeux sincères et la cordialité de Annette la gagnaient. Elle se dégageait, par détours souples, qui, l’espace d’un moment, avaient ouvert des perspectives, évanouies avant qu’on ait pu les repérer, et augmentaient encore l’incertitude. Mais la déception de son jeune auditeur était recouverte par la jouissance que lui causait la voix chantante et balancée. C’était plus beau et plus savoureux que le plus beau corps. Il la goûtait, les yeux fermés, comme sur sa bouche et sous ses mains. Elle était chaude et chargée de volupté. Après, quand revenait à son chevet la femme qui lui disait : « Tu », en le brusquant avec des mains douces, qui mettaient le feu, il lui tournait le dos, pour éviter la tentation de lui ouvrir cette bouche volontaire et d’entrer dedans…

Quand il était seul avec sa mère, il était moins habile à dissimuler. La convalescence et le désir, qui remontait avec la sève dans ses jeunes membres, l’ouvraient naïvement aux regards. Peut-être en secret n’était-il pas fâché que ceux de la femme inconnue pussent y plonger, par-dessus l’épaule de sa mère, à qui seule il paraissait parler. Annette ne s’y trompait guère.