Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/39

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mouillée des avocats que celle-ci, cette dure caboche de jeune fille, aux cheveux coupés, plaqués sur le crâne, comme par un morion. Ç’avait été une tragédie dans la maison, le jour qu’elle y était rentrée, frais-tondue, le nez provocant, le cœur battant, affranchie : la Dalila, qui s’est fauchée, pour briser les chaînes de Samson ! Le vieux bourgeois avait failli en avoir un coup de sang. Et ce don Diègue se jugeait déshonoré par le spectacle des jambes fines, libres enfin et jaillies de leur prison jusqu’à la pointe des genoux, qu’en s’y appliquant, la robe-mouchoir touchait de son bord, sans les couvrir… « O tempora ! O mores ! … » Mais si le père n’était point las de tonner, la fille le fut promptement d’entendre tonner.

 « Quand il a tonné et encore tonne,
La pluye approche et montre la corne »,


dit la Sagesse des nations. Ruche d’Orléans en montra deux. Elle décréta posément que « querelle n’accroissait grain ni bien », qu’à discuter ils perdaient leur temps, et, ce qui lui importait le plus, sa jeunesse, que nul n’avait pouvoir de ligoter aux morts les vivants, et qu’elle voulait son droit de faire sa vie indépendante, en allant étudier à Paris. Rien n’y fit : aucune prière, aucune menace, aucun argument. Le père refusa. Elle partit. Un soir, on ne trouva plus au nid la pie. Elle écrivit, du Quartier Latin. Par peur du scandale, on céda. Elle posait ses conditions. Le procureur posa les siennes. Ils parlementèrent dans leurs lettres, raides et glacés. Le père et la fille s’aimaient avec haine. L’un assignait à l’autre un traitement de famine ; l’autre, par orgueil, le refusa : il fallut les supplications de la mère pour amener un modus vivendi ; elle remontra au « guespin » qu’il était dangereux de défier une « guespine » de trouver seule ses moyens de vivre, à Paris. Il en frémit : son furieux entêtement lui avait fait oublier de quoi son sang était capable, par entêtement ! Il se hâta de signer le