Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/53

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Et d’un geste décidé de sa main longue et maigre de quattrocentista, elle les poussait sur l’escalier. Après, ils se retrouvaient dans le froid de la nuit, dans le brouillard et dans la boue. Et ils retrouvaient ce qui les séparait. Il se faisait entre eux un classement : ceux qui n’avaient qu’à rentrer au logis, pour s’étendre dans leur confort ; et ceux qui devaient songer au pain du lendemain. Véron et Chevalier s’en allaient avec Bette ; ou, si un taxi venait à passer, Véron le hélait, plantait Chevalier sur le trottoir, et enlevait Bette, pour la reconduire (à ce qu’il disait !) …Les trois autres cheminaient ensemble, quelques moments. Le silence tombait. Sainte-Luce, câlin, prenait le bras de Marc. Marc n’y avait aucun plaisir ; il laissait froidement pendre son bras inerte. Sainte-Luce ne pouvait résister au besoin de flûter encore quelques balivernes, qui avaient plus de suc qu’elles ne semblaient ; il lui fallait vider son carquois de son restant de petites flèches contre les parlotes de la soirée et les parleurs. Mais les deux autres, renfrognés, laissaient tomber ses fusées dans le ruisseau. Il se sentait congédié, et il ne leur en savait point mauvais gré. Il était trop détaché d’eux tous, pour qu’il ne trouvât point un amusement de plus dans leur rageuse volonté de se détacher de lui. Puis, à l’instant le plus imprévu, il les quittait, sur une nasarde appliquée d’une main leste, au museau de chacun des deux ; avant qu’ils eussent eu le temps de se moucher, Puck s’évanouissait dans la nuit. Bouchard, furieux, se retournant tout d’une masse, lâchait au jugé dans le brouillard son coup de fusil, un mot sanglant contre le Casimir. Après qu’il s’était soulagé par ses grognements, ils en venaient enfin, les deux restants, à l’objet caché, au premier objet de leurs cuisantes préoccupations : « Comment être libres, comment se faire libres, quand on ne sait pas comment manger ? » Bouchard en était rarement sûr pour le lendemain,