Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ment — l’argent à un Véron, qu’en son cœur il méprise. Il a même hésitation à accepter, aux réunions chez Ruche, un de ces billets de théâtres, concerts ou expositions, dont Véron a toujours les poches pleines, et qui ne lui coûtent rien. Pourtant, certains programmes mettent à l’épreuve sa « non-acceptation » ; et il le déguise mal : Ruche le voit ; elle s’amuse de ces secrets combats entre un orgueil jaloux de son indépendance et une convoitise enfantine des distractions offertes : l’un et l’autre sentiments lui sont familiers, et Marc lui en paraît plus proche. Elle s’accorde, une fois, le plaisir maternel — (encore un mot démodé, qu’elle répudierait !) — de prendre à Véron un de ses billets de concert, qui a fait passer dans les yeux de Marc un désir rageusement refoulé ; et quand ils sont, elle et lui seuls ensemble, elle se souvient qu’elle ne peut profiter du billet et elle le lui passe : de sa main, il n’a plus de motifs de refuser. Ce n’est que quand Marc est déjà assis au concert qu’il se demande, pris de méfiance, si c’est pour elle que Ruche avait accepté le billet, elle qui se soucie de la musique, comme de la pluie qui tinte sur ses carreaux ! Il est si ombrageux que cette pensée lui gâte le plaisir de la soirée. Un autre en saurait gré à Ruche. Lui, est vexé de s’être trahi devant elle…

Il commence à penser qu’à tout prendre, s’il y est obligé, il lui serait moins humiliant d’accepter l’argent de Sylvie que les cadeaux des autres. Mais après l’avoir refusé, il est sans gloire de le redemander. Et bien que la caisse soit à sec, depuis hier au soir, il tient bon, le cœur encore plus crispé que l’estomac… Sa chance veut que, cette après-midi, Sylvie qui passe en son auto l’aperçoive, de son œil de pie sur la branche, et le hèle. Il lui faut se tenir à quatre pour ne pas bondir dans l’auto… Tout de même, il a bondi ! Mais il a la satisfaction de sentir que du moins, aussitôt après, il a repris, en écoutant la bavarde, son air condescendant ;