Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/131

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— « La puce à l’oreille. Je viens te la mettre. Laisse-toi faire !… »

Il dévida son peloton d’informations confidentielles. Marc, boudeur, le laissait aller. À la troisième phrase, son oreille était dressée. À la dixième, tout son poil se hérissait. Il jappait. Il ponctuait les révélations indiscrètes, de grognements furieux et stupides (au sens classique). Il était pendu à la bouche du Mercure indiscret, qui livrait les ruses du maître. Jean-Casimir complaisamment lui dévoilait la politique — la vraie — celle de ceux qui tiraient les fils de l’opinion et des États : les Royal-Dutch, les Standard Oil ( « Aimes-tu l’huile ? on en a mis partout… » ), les Comités des Forges ou des Houillères, Skoda, Creusot, etc. Il lui nommait, avec un luxe de précision (ce fieffé Scapin n’oubliait rien !) les dates, les chiffres et les lieux des contrats secrets, des conventions qui liaient à leur insu les États, avec la complicité de leurs valets, — valets de presse ou de gouvernement. Il énumérait, sur le bout des doigts, les grands journaux qui s’étaient vendus (quand ? et combien ?) à l’un ou l’autre de ces ogres, et le contrôle que leurs commis exerçaient sur la vente dans les kiosques, les librairies, les étalages des quotidiens, des périodiques, des brochures, de toute la pensée imprimée. Au fur et à mesure qu’il avançait, Marc enfonçait dans la mare. Il suffoquait. La pensée libre coulait à pic. Il n’en restait plus que quelques borborygmes, qui faisaient des ronds, à la surface de l’eau grasse. Il se débattait, il protestait, il contestait. Mais il sentait lui-même que c’était pour la forme. À chaque effort de dénégation, Jean-Casimir le clouait d’un fait, auquel il n’avait à opposer que des : — « Je ne veux pas ! » — d’enfant emmailloté, démailloté, fouetté, torché, manipulé par les grands, et qui sait bien que les grands se passent de sa volonté.