Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/157

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de fruit charnu. Les zones neutres sont un terrain dangereux dans les guerres d’aujourd’hui. Un beau matin, on se réveille envahi…

L’envahisseuse était discrète. Elle avait, la sotte, appris de son cœur, à se replier en plein avantage, afin de se faire désirer. Elle prenait garde de fatiguer la patience, trop novice pour durer, du complaisant écouteur ; elle n’attendait pas qu’il prît congé, et elle partait la première. Elle espaçait les rencontres, et se refusait à lui accorder ce qu’il attendait qu’elle lui offrît : qu’il vînt chez elle. Elle redoutait que son regard trop averti ne reconnût la source d’un luxe entretenu ; et en même temps, l’élan sincère d’un pur amour l’eût fait souffrir si elle eût reçu dans ce lit celui dont elle voulait recevoir, pour la lui rendre, fondue à neuf, le don de sa virginité perdue. Ainsi, l’histoire traîna longtemps, sans qu’ils se vissent que dans la rue, de brefs instants ; et cependant, croissait la faim du louveteau. Mais la brebis qui languissait d’être mangée recouvrait toute sa sottise, pour courir après chaque rencontre chez la bonne sœur Bernadette, qui lui témoignait un chaleureux intérêt à connaître les progrès de l’aventure et lui donnait de sûrs conseils. Elle ne manquait pas de lui conter tout, si enivrée de son récit qu’elle ne voyait pas le durcissement des prunelles. — Et le jour vint où, haletante d’avoir monté trop vite, (elle n’avait pu attendre l’ascenseur), elle cria d’avance son bonheur : — (la main sèche de Bernadette lui mit son tampon sur la bouche) : — elle devait, le soir, aller chez Marc ; le fier garçon avait prié, prié ; et elle s’était laissé arracher l’Amen : (elle s’était tenue à quatre pour ne pas lui crier : « Enfin ! enfin !… Je baise tes mains… Merci ! Merci !… » )

Bernadette fit de sérieuses remontrances, pour qu’elle ne compromît pas son succès, en livrant trop sa