Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ment, lui appliqua sa paume brutale comme un soufflet. Trop tard !… Il entendit, derrière la porte, un gémissement… Et puis, plus rien !… Il demeurait paralysé, incapable même de penser, ne sentant pas dans sa paume les dents de Bernadette qui s’enfonçaient. Et sur le seuil, l’autre restait aussi, assommée, étayée au mur, comme inhibée par la douleur… Et soudain, un cri déchirant. On entendit la fuite affolée sur les marches de l’escalier… Marc bondit du lit, repoussant du poing dans la poitrine celle qui s’accrochait à lui, et il courut sur l’escalier, il se pencha, il appela :

— « Colombe ! »

Il dégringola même, à sa suite, un étage. Mais la Colombe, qui sanglotait, ne revint pas ; et sur ses « Hou, hou, hou… », inarticulés, se referma la porte de la maison. Il remonta. Bernadette, debout et nue, s’étirait devant le miroir ; elle touchait du doigt, curieusement, la marque au sein bleui par le coup de poing ; et s’asseyant au bord du lit, elle se rhabilla posément. Marc, immobile, debout, stupide, la regardait ; et c’était « l’autre » qu’il voyait. Mais entre « l’autre » et son regard, cette femme nue, maigre et repue, se tendait comme un rideau : brune de peau, fauve de crin, elle étalait sa laideur fière du succès, et chaque détail de ce corps, les cuisses laineuses, les pieds osseux, l’échiné de chatte décharnée, et souple et dur le buste penché, cette silhouette ramassée, aux genoux pointus sous le menton d’Arlequin qui se chaussait, et son sourire aigu de côté, — toute cette image se gravait, au fond de ses yeux, comme au couteau. Il ne fit rien, pas un mouvement pour l’aider. Il se taisait. Elle se taisait. Elle acheva de s’habiller, elle jeta un dernier regard au miroir, elle y vit la face sombre et figée de Marc, et elle sourit ; elle se tourna, elle lui posa ses mains sur les épaules, elle lui enfonça dans les yeux