Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/169

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Assia en recueillait des échos, dans son emploi de dactylosténotypiste, qui lui faisait enregistrer, machine vivante, les conciliabules de délégués franco-allemands des grosses firmes de l’industrie lourde. Sa virtuosité technique hors pair et son intelligente impersonnalité qui s’effaçait, comme si elle eût porté au doigt l’anneau invisible, lui avaient valu des postes de confiance, à la suite de maîtres français de la politique secrète et de la finance. Il n’eût tenu qu’à elle d’en profiter. Elle n’en profitait que pour son expérience et pour la soif de vengeance qu’elle amassait secrètement contre la société. — Elle amassait aussi beaucoup de mépris pour ces peuples de pauvres, d’exploités, de braves gens, qui se laissent mener par un anneau au bout du mufle. On faisait d’eux, en Allemagne, tout ce qu’on veut. Grâce à leur incohérence congénitale, à cette fièvre cérébrale qui est à domicile sous le crâne de deux tiers des Allemands, de ceux qui pensent ou croient penser, on enrégimentait leur révolte idéologique, sous l’uniforme des esclavagismes et des fascismes, venus ou à venir, de la finance et de la violence, des écerveleurs de la liberté. Assia ne comprenait pas pourquoi tous ces courants et tous ces vents furieux se heurtaient aux murs et carambolaient en zigzag, ou bien tournaient en spirale, au lieu de s’engouffrer dans le seul chenal qui menât au libre et large avenir, la porte étroite qui s’ouvrait à l’Est sur l’U. R. S. S. Mais à part quelques noyaux communistes, l’orgueil obscur et tenace de race germanique privilégiée, le crétinisme idéologique de l’homme « Aryen » 100 %, faisaient que même ceux qui voulaient, au prix de leur sang, la Révolution, la voulaient, sans se l’avouer, made in Germany. Et les esclavagistes en profitaient. Mais cette issue — cette porte de l’Est, qui tenait les regards de Assia accrochés, pourquoi elle-même ne