Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/170

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s’y enfilait-elle pas ? Elle tournait autour, elle s’approchait, le vent de la porte l’aspirait, elle se sentait sucée par lui ; mais au dernier moment, elle se rejetait de côté, elle s’arrachait au suçoir… Pourquoi ? Son vrai emploi eût été là-bas ; elle s’en persuadait, de jour en jour ; et d’autres le lui faisaient entendre. Elle ne passait pas ignorée, à Berlin ou à Oslo ; une surveillance la suivait ; Djanelidze l’avait signalée, et ils savaient qu’elle leur était une alliée volontaire, postée au camp ennemi. Elle ne fut pas longtemps à reconnaître qu’elle n’était pas la seule dans ce cas. De même qu’à la veille des Grandes Invasions, les barbares s’enrôlaient dans l’armée de Rome, la Révolution s’infiltre aux grands Q. G. capitalistes, dans les usines, dans les bureaux, dans les oreilles ouvertes aux portes et dans les doigts alertes qui pianotent les secrets des états-majors. Le regard de Assia s’accrochait à tel autre de ses confrères, de ses complices ignorés, inattendus, dactylos ou secrétaires, en pleins conseils de guerre des grands capitaines d’industries. Ils se flairaient, sans mot dire : odeur du clan ! Il n’était pas besoin d’enrôlement payé. Le meilleur enrôlement est celui du libre instinct, celui du sang. Quand une civilisation tremble, à la veille de l’éruption, sous l’enveloppe la terre se fend, et par les veines le souffle de feu se répand. Il peut se communiquer subitement à un bourgeois fils de bourgeois d’Occident, tout aussi bien qu’aux déclassés et aux déracinés. L’ébranlement de toute l’économie européenne par la guerre, la ruine, l’inflation, les krachs, le chômage, la famine, livrait le corps de l’Europe à l’invasion de tous les microbes de Révolution. Et qu’est-ce autre chose qu’une de ces grandes épidémies qui font justice des organismes sociaux ruinés et qui font place, périodiquement, à de nouvelles vagues d’humanité ? Le phénomène se manifestait plus implacablement