Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/187

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plan de vie à l’autre plan, de l’individuel au social. De même qu’en ces premiers mois de Vita Nuova, Assia trouvait sa joie naturelle à subordonner son indépendance et son orgueil au service amoureux de Marc, — Marc s’acheminait au sacrifice de son individualisme chaotique, plié sous la main des exigences d’action sociale et de combat, que lui soufflait, sans le savoir, l’amour de Assia. Elle n’avait pas besoin de le lui demander. Il suffisait qu’elle se fît lui, pour qu’il se fît elle, et qu’il y retrouvât, comme siens, cette vigueur d’instincts élémentaires, qui étaient essentiels à la nature de Assia. Il va de soi qu’un tel accouplement des deux pensées n’était possible qu’au paroxysme des premiers temps, où les deux corps s’étaient retrouvés. Il devait, ensuite, relâcher son nœud, reprendre le côte-à-côte indépendant des deux vies intérieures. C’est la loi. Mais de ces instants où ils s’étaient pénétrés jusqu’au centre et mélangés, au point d’être plus l’autre que soi-même, ils gardaient une imprégnance d’âme, qui ne pouvait plus s’effacer. Ils en avaient le goût dans la bouche. Même s’ils avaient voulu en laver leur langue — {il y avait des heures où cette hantise sentait la fièvre) — ils n’eussent trouvé aucune eau pour s’en nettoyer le palais. Il leur fallait vivre avec leur mal — avec leur bien — l’âme de l’autre greffée au corps. On la sentait battre comme une dent. Une dent à naître. De neuves dents. Ainsi que de jeunes animaux, ils cherchaient des objets à ronger, afin de se faire les dents. Ils avaient faim. Faim d’agir.