Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/194

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l’argent, ou le crime. Pour tous les goûts ! Les plus naïfs y étaient pris, comme les plus roués : une fois le doigt dans l’engrenage, toute la bête y passait. La peur achevait la prise, dont les flatteries de vanité et les petits cadeaux d’amitié avaient été l’amorce. Les gros poissons étaient ferrés à l’hameçon.

La partie eût été gagnée, sans deux conditions : — il eût fallu que ces maîtres du monde s’entendissent pour le partage du monde ; — il eût fallu qu’ils s’entendissent contre l’unique ennemi de taille, qui préparait la contre-offensive du monde : l’U. R. S. S., qui s’armait, derrière la muraille d’acier, fumante, de ses grands Plans. Ces conditions étaient élémentaires. Un enfant les eût comprises. Mais ces géants de l’argent et des affaires, membrus, charnus, avaient, comme Timon l’avait dit, de très petits cerveaux. Leurs gros yeux myopes, injectés de sang, n’arrivaient pas à se dégager de leurs passions antagonistes, de leurs vanités, de leurs intérêts rivaux, du jour présent. Depuis des ans, ils n’avaient pas été capables de faire front commun contre l’ennemi. Ces acheteurs du monde se laissaient acheter ; ils se trahissaient mutuellement, pour un gâteau volé à l’autre, pour un contrat conclu avec le sage ennemi, qui les avantageait aux dépens du concurrent. Ainsi, ils avaient laissé grandir l’énorme usine prolétarienne, qui, jour et nuit, forgeait leur ruine.

Mais, à la onzième heure, — (et même le premier quart était sonné), — ils avaient fini par sentir sur eux l’ombre de l’usine qui s’allongeait. Et ils voulaient faire l’union. L’Union Sacrée. Tous leurs buccins et toutes les cloches de leurs églises la sonnaient. C’était bien tard ! La terre tremblait. De premières secousses lézardaient les gros murs du capitalisme. Quelques