Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/197

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russe et de l’allemand ; et quelquefois Annette, pour l’anglais ou pour l’italien. Mais elle y apportait moins d’ardeur ; elle traînait sur ses traductions, surtout quand c’étaient des livres d’économie ou de théorie sociale ; elle faisait l’école buissonnière avec l’enfant Vania, dont elle ne s’était pas dessaisie, depuis que la mère était rentrée ; elle était aussi reprise par sa vie de rêves, à mesure que déclinait son jour ; on la trouvait flânante, comme une écolière, devant son livre ou son cahier, les yeux absents : il fallait la rappeler :

— « Eh ! la dormeuse ! C’est comme ça que tu gardes notre pré ?… »

Assia aimait à la bousculer. Et il ne déplaisait pas à Annette d’être bousculée. Elle revenait, mais sans hâte, à son pré. D’où elle revenait, elle ne le contait à personne, bien que Assia la taquinât pour savoir. L’activité galopante de ses deux poulains lui était amusement. Elle ne cherchait point à la modérer.

Elle leur ouvrit d’autres champs. Son vieux libéralisme et ses souvenirs de Roumanie et d’Italie lui faisaient sentir plus vivement les attentats des fascismes dans les pays latins. Elle y avait gardé des amitiés, et elle contribua à faire de la librairie de son fils un des foyers de l’émigration antifasciste italienne. Ils y apportèrent leur clientèle, moins riche d’argent que de discussions. Il n’était pas facile qu’ils s’entendissent avec le communisme. Même entre eux, ils avaient peine à s’entendre. Ils s’épuisaient à reconstruire un édifice démocratique, que la grande guerre avait miné, et sur lequel à la fois Révolutions et Contre-révolutions tiraient à coups de canon. Ils se trouvaient doublement exilés, hors de leur terre, et hors de leur temps. Annette, qui les comprenait, tout en ayant accompli pour elle