Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/209

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trop fier pour lutter à coups de poumons avec le chœur aux cent gueules. Il ne parle pas pour les autres. Il parle pour soi.

C’est un hasard qui, tardivement, a apporté quelques bribes de sa parole à Annette. — Elle est encore chez Timon, elle lui tape un article. La porte de son cabinet est ouverte ; tout en dictant, il cause avec l’un ou avec l’autre, qui entre et sort. Dans cette cohue, le nom de Julien Davy a roulé. Et l’oreille d’Annette s’est dressée. Elle ne perd rien de ce que Timon dit de ce « défaitiste », de ce foutu pion du Collège de Prusse », qui est « en train de passer du bleu de Berlin au rouge du Kremlin. »

— « Je m’en vas lui botter le cul !… » Sans interrompre son doigté, elle demande :

— « Qu’est-ce qu’il a fait ? » Entre deux tranches de sa dictée, il lui réplique :

— a Et qu’est-ce que ça te fait ? »

Elle répond :

— « Je le connais. Et je l’estime. »

L’interlocuteur de Timon s’attend à ce que le gueuloir se retourne contre l’imprudente secrétaire, qui lui oppose son jugement. Mais les habitués savent le pouvoir de la dactylo sur le tyran. Il écrase d’un coup de poing son cigare sur le bureau ; et il s’étrangle :

— « Ah ! tu le connais ? Ah ! tu l’estimes ? Ce j… f… !… *

Il avale, d’un grognement, sa fumée :

— « Eh bien, moi aussi !… »

Mais il ajoute :

— « Ça n’empêche pas que j’aurai sa peau ! »

Elle redemande :

— « Qu’est-ce qu’il a fait ? »

— « Puisque tu le connais, qu’est-ce que tu demandes ? »

Elle explique, à mots mesurés, qu’il y a longtemps