Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/208

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on ne peut plus s’en épouiller. Et Dieu merci ! on a déjà bien assez à brosser, de la poussière de chaque journée ! S’il fallait encore récolter celle du passé ! À chaque jour suffit sa peine…

Mais quand la machine, par accident, est momentanément immobilisée, l’esprit, comme l’écureuil enfermé dans la roue, continue de tourner ; et il se retrouve en arrière. Annette retrouva l’ancienne Annette, et son vieux amant, son Thésée, qui avait Ariane abandonnée, — Julien Davy.

Ce n’était pas la première fois, depuis vingt ans, qu’elle s’était heurtée à son nom. Bien qu’elle n’eût plus assez de loisirs pour suivre les publications scientifiques, — (et quand on cesse, quelque temps, de la suivre, la science marche d’une telle allure qu’on s’époumone à la rattraper), — elle avait aperçu parfois ce nom sur des revues ou sur des livres. Jamais ce n’avait été sans un choc imperceptible : le premier mouvement était de détourner les yeux : — « Je n’ai rien vu ! » — Mais l’un des jours qui suivaient, ses pas la ramenaient devant la devanture du libraire ; et là, son regard, indifférent, n’hésitait point… Elle repartait. Le titre du livre est maintenant inscrit dans sa tête. Aussi, les titres de l’auteur. Il est professeur au Collège de France. Il a bien travaillé… Son cœur se serre, mais elle est contente. Elle aurait eu peine à laisser en arrière ceux qu’elle a aimés. Julien avance…

Mais dans quelle direction ? Elle n’a pas essayé de s’en informer. Parler de lui à un autre ?… Non ! Elle suppose qu’il a poursuivi sa voie, dans le vieil esprit de sa famille traditionaliste et catholique. Pendant la guerre, elle était trop prise par sa propre action et ses passions, pour percevoir l’écho étouffé de la voix de Julien, à Paris. Et ce n’est pas Julien qui ferait rien pour empêcher que sa voix soit étouffée ! Il est